Peter Lenting, chercheur à l’Inserm

Interview de Peter Lenting, chercheur dans l’unité 770 de l’INSERM (Le Kremlin-Bicêtre), par Geneviève Piétu, animatrice du groupe de travail « Recherche » de l’AFH.

Quel est votre parcours scientifique ?

Peter Lenting : Je suis d’origine hollandaise et j’ai fait mon doctorat en sciences de 1993 à 1996 à Amsterdam dans le laboratoire des Prs Van Mourik et Mertens. Mon programme de recherche portait sur l’étude biochimique des protéines de la coagulation [1], facteur VIII (FVIII) et facteur IX (FIX).

Après ma thèse, j’ai poursuivi ces travaux durant un stage post-doctoral de quatre ans dans le même laboratoire. En 2000, j’ai rejoint le laboratoire du Pr Sixma et du Pr de Groot à Utrecht, où j’ai travaillé pendant sept ans sur la biochimie du facteur Willebrand (vWF), en examinant comment le complexe FVIII/vWF était éliminé dans l’organisme. Fonts for instagram and for messages is very useful tool in 21 century, get if here – https://fontsprokeyboard.com .En 2007, j’ai intégré une petite société pharmaceutique privée qui cherchait à mettre en place des thérapies innovantes pour proposer de nouveaux traitements pour l’hémophilie. Je suis arrivé en France en 2009, après avoir obtenu sur concours un poste de directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). J’ai alors intégré l’unité 770 de l’INSERM où je travaille toujours actuellement.

Pouvez-vous nous informer sur les activités de l’U770 et vos thèmes de recherche ?

P. L. : L’unité 770 comprend une quarantaine de personnes, incluant des chercheurs, des techniciens et des administratifs. Elle est composée de deux équipes. La première s’intéresse à la biologie des plaquettes [2] et je fais partie de la seconde qui étudie les protéines de l’hémostase.

Au sein de cette équipe, je travaille en étroite collaboration avec deux autres chercheurs : Cécile Denis, directrice de l’U770, et Olivier Christophe, lui aussi chercheur à l’INSERM et membre du groupe de travail « Recherche » de l’AFH.

Nous travaillons en synergie et mettons en commun des expertises complémentaires. Nous avons de nombreuses collaborations en France et à l’étranger (Angleterre, Pays-Bas, Canada…)

Nos recherches ont 3 objectifs :

  1. Etudier les relations entre la structure de la protéine et sa fonction, aussi bien pour le FVIII que pour le vWF. Nous reproduisons au laboratoire, dans des tubes à essais, les mutations présentes chez les malades pour obtenir des protéines mutées. Puis nous les injectons chez la souris pour analyser leurs effets et comprendre les conséquences de ces mutations in vivo ;
  2. Comprendre comment ces protéines sont éliminées, et à partir de là tenter de prolonger leur action au sein de l’organisme, par exemple en agissant sur leur récepteur ;
  3. Etudier de nouvelles pistes thérapeutiques (telles que de nouveaux variants du facteur X) et des développements précliniques sur de nouvelles molécules, ou mettre en place des collaborations avec l’équipe de Nathwani à Londres [3] pour la mise au point de la thérapie génique de l’hémophilie A (avec une approche similaire à celle déjà publiée sur l’hémophilie B).

Comment pensez-vous que l’AFH peut soutenir la recherche ?

P. L. : L’AFH peut jouer un rôle dans le rapprochement et la création de liens entre les chercheurs et les cliniciens. En effet, les chercheurs de l’INSERM, qui font de la recherche fondamentale, sont loin de la clinique. Il serait important de développer des projets en commun.

L’AFH peut également agir pour mettre en relation les chercheurs avec les patients, comme je l’ai fait en 2011 lors du congrès national de l’AFH à la Rochelle. Pour les chercheurs, ces discussions leur permettent de mieux comprendre les problèmes engendrés par la maladie et les attentes des malades. On peut tout à fait envisager des rencontres Patients-chercheurs organisées au sein des laboratoires de recherche afin que les patients soient au plus près de la réalité de la recherche.

Enfin, bien sûr, l’AFH peut faire avancer la recherche en lançant des appels d’offre sur les sujets qu’il lui semble important de développer, et en apportant un soutien financier à ces projets.

Quel est votre sentiment sur les nouvelles pistes thérapeutiques actuellement en cours d’étude ?

P. L. : Tout d’abord, il me paraît important de prendre conscience que les problèmes d’hémostase ne sont pas seuls en cause dans un saignement et qu’il faut aussi tenir compte de paramètres tels que, par exemple, l’inflammation ou la densité de l’os, propres à chaque individu, et qui jouent clairement un rôle. Il faut penser à développer des recherches dans ces domaines.

Je suis plutôt optimiste sur les premiers résultats obtenus dans la thérapie génique de l’hémophilie B [4]. C’est une preuve de concept réussie, un grand pas de fait et un grand espoir pour le futur. Néanmoins, il reste encore beaucoup de problèmes à résoudre tels que la production de virus en quantité, sa purification, la maîtrise de la réaction immunitaire [5]… Il faut aussi noter que l’étude n’a porté que sur un très petit nombre de patients et que tous les hémophiles ne pourront pas bénéficier de cette approche.

Les autres approches telles que la chirurgie du gène ou l’utilisation de cellules souches en thérapie cellulaire [6] sont prometteuses, mais elles n’en sont qu’à leurs débuts. Beaucoup de laboratoires sont très actifs dans ces domaines, mais il faudra du temps pour qu’elles se concrétisent en nouvelles thérapies.

Si vous obteniez de nouveaux financements, vers quels domaines de la recherche vous orienteriez-vous ?

P. L. : Pour ma part, j’orienterais mes recherches vers les molécules qui permettent de « courtcircuiter » l’anomalie dans la cascade de la coagulation [7]. Le développement de ces protéines pourrait être entrepris avec comme objectifs de générer des molécules ayant une durée de vie plus longue que celles existant actuellement et également moins immunogènes [8].

De plus, elles devraient permettre de traiter les hémophiles A et B, même ceux qui ont développé un inhibiteur [9]. Enfin, ces protéines pourraient être conçues de telle sorte qu’elles soient produites à des coûts très bas, ce qui permettrait leur utilisation dans les pays en développement.

Une autre voie de recherche intéressante à développer est celle qui vise l’obtention de produits que l’on pourrait prendre par voie orale. A mon avis, cela nécessitera au moins 20 années de développement.

Il me paraît en outre nécessaire de développer des traitements spécifiques (des adjuvants ou des produits oraux) pour les hémophilies modérées, différents de ceux utilisés pour les hémophiles sévères.

Dans le futur, à mon sens, les hémophilies sévères seront traitées par les produits permettant le « court-circuit » de l’anomalie ou sa correction par la thérapie génique/cellulaire/chirurgie du gène, alors que les hémophiles modérés bénéficieront d’autres types de traitements.

[1] La biochimie est la discipline scientifique qui étudie les réactions chimiques qui ont lieu au sein des cellules. Les principales catégories de molécules étudiées en biochimie sont les glucides, les lipides, les protéines et les acides nucléiques.
[2] Les plaquettes sont de petites cellules que l’on trouve dans le sang. Elles ont un rôle primordial dans le processus de la coagulation. Elles interviennent lors de la première phase de cette coagulation, l’hémostase primaire, en adhérant à la paroi vasculaire lésée lors de l’apparition d’une brèche dans un petit vaisseau.
[3] Cette équipe a, pour la première fois, démontré que l’injection d’un vecteur AAV8 contenant le gène du FIX était capable de restaurer une expression de FIX d’environ 5 % chez des hémophiles B et qui reste maintenue après plus d’un an.
[4] Etat des lieux de la recherche – Groupe de travail Recherche de l’AFH
[5] Mise en jeu d’un système de défense après l’introduction dans l’organisme d’un corps étranger
[6] Etat des lieux de la recherche – Groupe de travail Recherche de l’AFH
[7] Etat des lieux de la recherche – Groupe de travail Recherche de l’AFH
[8] Substance dotée du pouvoir de provoquer une réaction immunitaire.
[9] Anticorps dirigé, dans le cas de l’hémophilie, contre le facteur antihémophilique injecté, l’empêchant ainsi d’agir.