Patients sentinelles

Les patients sentinelles de l'AFH
Comment puis-je identifier et mettre des mots sur mes signes précoces de saignement ? Après deux ans de recherche, l’AFH et le Laboratoire de pédagogie de la santé de l’université Paris 13 ont développé un programme d’éducation thérapeutique.

Apprendre à percevoir les hémarthroses et les hématomes

L’hémophilie est une maladie qui s’exprime par « crises » à l’occasion d’accidents hémorragiques plus ou moins graves pouvant entraîner des hématomes (saignements dans un muscle) ou des hémarthroses (saignements dans une articulation).

La médecine a répertorié un certain nombre de signes cliniques qui traduisent la présence de l’hémorragie, tels que la rougeur, la chaleur, le gonflement ou la douleur. Cette sémiologie médicale est bien connue des personnes hémophiles et de leurs proches qui ont éprouvé ces signes et en ont parlé avec les soignants.

Cependant, la sémiologie correspond à une classification réalisée par les professionnels de santé et reste une interprétation de leur part. Or la perception des signes par des personnes atteintes d’hémophilie s’avère plus fine, même s’il reste souvent difficile de la traduire en mots.

Comme pour d’autres patients − atteints de diabète par exemple −, certains hémophiles ont développé, par expérience, la faculté de percevoir des signes précoces d’accidents hémorragiques avant même que le saignement ne se déclare. Ces personnes, peu nombreuses, dénommées Patients sentinelles, élaborent une sémiologie personnelle, souvent très différente de celle traduite par les soignants. Elle leur permet de réagir plus tôt lors d’un accident hémorragique, en particulier par autotraitement, et de limiter ainsi les conséquences des hémorragies, à court et à long terme.

Un programme de recherche par et pour les patients

Forts de ce constat, le Laboratoire de pédagogie de la santé EA 3412 de l’université Paris 13 et l’AFH collaborent depuis plus de deux ans à un programme de recherche. Ce projet vise à mieux caractériser cette sémiologie personnelle (au même titre que la sémiologie médicale) et à développer, dans un second temps, un module d’éducation thérapeutique du patient (ETP), coanimé par des soignants et des Patients ou Parents ressources (PPR) dans le cadre du dispositif national de l’AFH. En effet, les personnes directement concernées sont sans doute les plus à même d’aider d’autres hémophiles à reconnaître, à verbaliser et à faire confiance à leurs signes précoces d’hémorragies.

Une dizaine d’entretiens approfondis d’une heure en moyenne ont été réalisés dans toute la France, avec des Patients sentinelles de 14 à 45 ans proposés par l’association ou des Centres de traitement de l’hémophilie (CTH). Ces rencontres ont permis de recueillir un ensemble d’expressions utilisées pour traduire les tout premiers signes d’hémarthrose : des mots (« une gêne » ; « un picotement »), des images (« C’est comme si j’avais du sable dans l’articulation »), des phrases (« Ce n’est pas comme d’habitude ») ou même des métaphores (« Je suis comme une armoire mal calée » ; « Je sens un vide plein »).

Exprimer une sensation n’est pas une chose toujours simple, et le recours à l’imaginaire ou à l’abstrait peut aider à la partager. C’est ainsi que la recherche a conduit à s’intéresser aux domaines dans lesquels la caractérisation des sens est fondamentale. Il est apparu que l’oenologie a développé une classification des sens qui pouvait parfaitement s’adapter à la problématique de l’hémophilie. Sur cette base et après des adaptations, l’ensemble des expressions des Patients sentinelles a été rassemblée en famille de sensations pouvant correspondre à des signes précoces, ainsi dénommés du fait qu’ils apparaissent dès les premiers moments de l’accident hémorragique. De plus, contrairement à la sémiologie médicale, ces signes étant personnels, ils ne sont pas toujours transposables d’un individu à l’autre. Une fois qu’ils sont identifiés, chacun doit donc avoir suffisamment confiance dans ses propres signes pour savoir qu’ils traduisent bien une hémarthrose et pouvoir agir de manière adaptée.

Un atelier d’ETP pour apprendre à identifier les signes

Ces résultats ont permis de créer un atelier d’ETP : des outils ont été élaborés pour aider les participants à identifier leurs signes, leur niveau de précocité et la confiance qu’ils ont dans leur perception.

L’atelier a été conçu avec des personnes hémophiles, des membres du groupe de travail « ETP » de l’AFH, des soignants (médecins, infirmières, kinésithérapeutes) et des experts en pédagogie de la santé. Il a ensuite été expérimenté auprès d’adultes et d’enfants, en collaboration avec les comités régionaux de l’AFH et les CTH de Caen, de Tours, de Paris Necker, et lors de la colonie de vacances organisée par l’AFH à Préfailles (Loire-Atlantique).

Les premiers résultats de ces ateliers expérimentaux montrent que de nombreux hémophiles ont déjà identifié des signes d’hémarthrose qui leur sont propres. Pour autant, ils n’arrivent pas toujours à les exprimer. A travers les échanges, les expériences partagées et la sémiologie issue des Patients sentinelles, la plupart des patients ont pu lister leurs signes précoces.

De la même manière, le sentiment de confiance dans ces signes s’est trouvé renforcé, permettant à plusieurs personnes d’envisager l’avenir différemment : « Je vais m’écouter, je vais me piquer tout de suite » ; « J’ai toujours eu peur de me piquer mais si j’attends, c’est trop tard. Je vais apprendre à le faire tout seul ». De leur côté, les soignants témoignent d’une nouvelle connaissance de ce que leurs patients peuvent vivre, leur ouvrant des perspectives dans la pratique quotidienne.

Cette recherche et ses premières applications pratiques démontrent l’intérêt d’explorer, dans des moments dédiés, ses manifestations personnelles des hémarthroses et la manière de les gérer. Ce temps de réflexion sur la perception donne également une plus grande aisance dans le dialogue avec les soignants de son CTH. Le projet ouvre également de nouvelles voies concernant l’implication des patients dans la transmission de leur expérience à leurs pairs, en collaboration étroite avec les équipes de soins.

Jean-Charles Verheye

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