Interview de Sebastian Misztal

En 2011, une équipe anglo-américaine rendait publiques ses recherches sur la thérapie génique [1] : 6 patients atteints d’hémophilie B sévère ayant reçu une injection véhiculant un gène normal de facteur IX ont pu se passer pendant plusieurs mois d’administration de produit antihémophilique. Une très grande avancée dans le domaine de la thérapie génique, qui a suscité de grands espoirs pour la communauté hémophile. Adam Sumera, membre de l’Association polonaise des hémophiles, a rencontré Sebastian Misztal, patient polonais hémophilie B installé en Grande-Bretagne, pour l’interroger sur sa participation à ces essais cliniques de thérapie génique [2].

Adam Sumera : Dans la presse généraliste à l’étranger on a beaucoup parlé de toi et des essais de thérapie génique – il suffit de regarder sur Internet pour s’en rendre compte −, mais rappelle-nous en quelques mots qui tu es.

Sebastian Misztal : J’ai 33 ans et j’habite au nord de Londres depuis quatre ans. Je dirige une entreprise dans le domaine de l’audiovisuel et dans les systèmes de sécurité.

A. S. : Je sais que tu souffres d’une hémophilie B sévère. Quel était ton état de santé avant d’entrer dans ces essais cliniques ? Comment sont les soins des hémophiles en Grande-Bretagne ?

S. M. : Mon état de santé, c’est une question un peu compliquée. En Pologne, enfant, je n’ai suivi aucune prophylaxie [3], ce qui a provoqué des dégâts irréversibles dans mes articulations, dans mes chevilles notamment. A cause de cela, je suis contraint de prendre aujourd’hui des antidouleurs pour vivre au quotidien. A mon arrivée en Grande-Bretagne, mon état de santé n’était pas satisfaisant. Le premier médecin que j’ai rencontré m’a dirigé vers le Royal free hospital dans le quartier de Hampstead (Londres), au centre de traitement de l’hémophilie. Ainsi a commencé mon aventure avec la prophylaxie. Au début, j’allais de mon travail à l’hôpital deux fois par semaine pour recevoir mes injections ; puis j’ai reçu une formation à l’autotraitement. Le traitement est livré à la maison avec les seringues et tout l’équipement nécessaire. Les soins des hémophiles en Grande-Bretagne m’ont beaucoup surpris.

A. S. :Comment as-tu participé à l’étude clinique de thérapie génique ? Quelles étaient les exigences des organisateurs ?

S. M. : En tant que patient de l’hôpital de Hampstead, j’avais le plaisir de connaître les « pères » de la thérapie génique : un directeur retraité de cet hôpital, le Pr Edward Tuddenham [4] , et le Dr Amit Nathwani. Ils m’ont parlé de leurs recherches et de la nouvelle étape des études cliniques. Ils m’ont dit qu’ils cherchaient des volontaires, ou plutôt un premier volontaire qui croirait en leurs études et « prendrait le risque ». Les exigences étaient assez compliquées : être atteint bien sûr d’hémophilie B, bénéficier d’un bon état de santé général (avant tout un bon foie), ne pas produire d’anticorps contre le vecteur injecté pour la thérapie génique, et bien d’autres encore.

A. S. :Tu as mis beaucoup de temps pour prendre ta décision ?

S. M. : Je n’ai pas beaucoup réfléchi à ma participation au programme, malgré les informations sur le risque possible, malgré le risque même de perdre la vie. Mes connaissances dans le domaine de la biologie et de la génétique, bien que limitées, m’ont permis d’arriver à la conclusion que le risque était petit alors que les possibilités étaient énormes – même si je savais que les dégradations articulaires de mes chevilles ne pourraient pas reculer. Dès la première injection, mon taux de facteur IX a augmenté !

A. S. :Il s’agissait uniquement d’améliorer ton état de santé ?

S. M. : En participant à la thérapie, j’ai plutôt pensé aux autres malades et aux enfants qui, dans le monde entier, comme moi autrefois en Pologne, passent leur enfance et leur adolescence sans prophylaxie : ainsi, tout ce que j’avais vécu pourrait leur être épargné grâce à une seule piqûre… Cela valait-il la peine de prendre des risques ? J’ai considéré que cela en valait largement la peine. Et j’avais raison.

A. S. :Combien de temps a duré le programme et comment s’est-il déroulé ?

S. M. : Le programme a commencé par les analyses préliminaires – toutes les analyses sanguines possibles ont été réalisées, et par des examens du foie. Cette étape n’était pas pesante. L’intensité des analyses juste avant le protocole a été un peu plus fatigante, parce que je devais aller à l’hôpital assez souvent et que cela perturbait ma vie quotidienne. Le temps de l’injection du vecteur durait deux heures, et j’ai pourtant dû rester en observation à l’hôpital pendant toute une journée.

Après l’injection, je devais me présenter à l’hôpital tous les jours pendant deux semaines, puis de plus en plus rarement (deux fois par semaine, puis une fois par mois, etc.). Cette étape n’était pas très confortable, toutefois je trouve que ça en valait la peine.

A. S. : Combien de personnes participaient à ces essais cliniques ?

S. M. : Je ne sais pas exactement combien de personnes ont participé aux tests. Je sais que nous n’étions pas nombreux, et je n’ai eu le plaisir de rencontrer qu’une seule personne qui, comme moi, était intégrée à l’étude.

A. S. : Quels sont les effets immédiats et à long terme ? Es-tu satisfait des résultats ?

S. M. : Les effets sont prometteurs. Mon taux de facteur IX dans le sang est passé de < 1 % à 2 %, ce qui signifie en pratique que la prophylaxie n’est plus indispensable et que le facteur IX peut m’être administré uniquement à la demande. Ce traitement m’a donné la possibilité de devenir plus actif que je ne l’étais ces dernières années : j’ai perdu du poids et j’ai retrouvé ma forme comme au temps du lycée. Mon moral est également remonté, et je vis presque normalement. Le fait de ne plus avoir besoin d’injections systématiques est en soi agréable – je n’ai plus à me faire des injections intraveineuses deux fois par semaine. Jusqu’à présent, le protocole n’a pas provoqué d’effets secondaires. Quant au moral des autres participants à cet essai, je n’en sais que ce que j’ai lu dans des interviews : ils disent qu’ils ont repris le sport, etc. Ainsi, je constate que leurs résultats sont semblables aux miens ou même encore plus prometteurs.

A. S. : Que voudrais-tu transmettre aux lecteurs ?

S. M. : Aux lecteurs, je voudrais tout simplement conseiller de vivre normalement (en fonction de leurs possibilités). En effet nous, hémophiles, nous sommes capables de réaliser ce que nous souhaitons, au même titre que les autres personnes. La maladie, c’est une difficulté mais ce n’est pas une barrière incontournable, alors relevons la tête ! De nouvelles thérapies arrivent et sont porteuses de grandes possibilités, grâce aux médecins et aux patients capables de s’y engager ; elles seront bientôt plus accessibles et simplifieront notre vie.

[1] Manipulation génétique visant à introduire chez le patient le gène manquant pour corriger le défaut de coagulation. On injecte au patient un ensemble (ou une construction) constitué du gène normal inséré dans un vecteur qui va permettre son transport.

[2] Traduction de Bernadetta Pieczyňska, membre du conseil d’administration de l’Association polonaise des hémophiles.

[3] Traitement qui a pour objectif de prévenir les hémarthroses, la survenue des articulations cibles plus sujettes aux saignements et le développement d’une arthropathie précoce, par injection préventive du facteur antihémophilique manquant. Lire la revue n° 203 pages 16 à 19.

[4] Lire la revue n° 198 page 15.