Sandra le Quellec, médecin et jeune chercheur

Interview de Sandra Le Quellec, lauréate du prix Espoir 2013 de la Fondation Groupama pour la santé pour son projet de recherche sur l’hémophilie B, par Jeannine Klein, membre du groupe de travail « Recherche » de l’AFH.

Sandra Le Quellec, vous allez débuter une carrière de chercheuse dans le laboratoire de l’Unité d’hémostase, inflammation et sepsis de l’université Claude-Bernard à Lyon. Qu’est ce qui vous a donné envie de vous orienter vers ce métier ? Quel est votre cursus ?

S. L. Q. : Depuis toute petite, j’ai envie de devenir médecin et de faire de la recherche. Dès ma troisième année à la faculté de médecine de Toulouse, je me suis inscrite en Master 1 de Recherche biomédicale, pour compléter une formation médicale par un aspect plus scientifique et fondamental. Dans le cadre de ce Master 1, j’ai approché concrètement le métier de chercheur en effectuant un stage de deux mois aux Etats-Unis dans un laboratoire de recherche en neuro-immunologie à l’université de Pittsburgh. Aujourd’hui, je viens d’obtenir mon Master 2, mention « Biologie cellulaire physiologie et pathologie » (BCPP) spécialité « Vaisseaux hémostase ».

Parallèlement, j’ai poursuivi mes études de médecine. Depuis 2010, je suis interne à Lyon. J’entame ma quatrième et dernière année d’internat au laboratoire d’hématologie de l’hôpital Edouard-Herriot, siège du Centre de référence de l’hémophilie et troubles hémorragiques constitutionnels (CRMH).

Le choix de la spécialité d’internat biologie médicale et plus particulièrement « Hématologie-hémostase » me permet à la fois de mener des expérimentations en laboratoire, et aussi de continuer à avoir des contacts avec les patients et de ne pas perdre de vue l’aspect clinique. Ma thèse d’internat pour devenir docteure en médecine, que je dois finaliser en 2014, porte sur l’intérêt d’un traitement par facteur VIII porcin recombinant chez les patients atteints d’hémophilie A avec inhibiteurs.

Pouvez-vous détailler votre projet de recherche sur l’hémophilie B ? Quels sont les enjeux ? Quelles sont les différentes étapes de votre projet ?

S. L. Q. : L’hémophile B est traitée par injection de facteur IX plasmatique ou recombinant. A ce jour, on sait que pour obtenir une même efficacité, c’est-à-dire une coagulation satisfaisante pour le traitement d’une hémarthrose par exemple ou dans le cadre d’une prophylaxie, il faut injecter environ 30 % de plus d’unités internationales de facteur IX d’origine recombinante par rapport au facteur IX plasmatique.

Aujourd’hui, la séquence protéique du facteur IX est très bien connue. Par contre, on observe que sur le facteur IX recombinant, il manque certains groupes fonctionnels et que certains groupes sont présents mais de manière diminuée par rapport à la molécule d’origine plasmatique. Ces deux anomalies peuvent s’expliquer par le fait que le facteur IX recombinant est fabriqué en utilisant des cellules animales (cellules ovariennes de hamster), qui n’ont pas les mêmes capacités d’amélioration des molécules.

L’intitulé de mon projet de recherche sur l’hémophilie B est le suivant : « Phosphorylation du facteur IX de la coagulation par la protéine kinase Fam20C : amélioration du taux de récupération dans le traitement de l’hémophilie B. »

L’hypothèse de départ de mon projet est de dire que si on arrive à fabriquer un facteur IX recombinant avec une phosphorylation plus complète, ce facteur sera plus efficace en termes d’activité coagulante. En clair, je cherche à améliorer les traitements de l’hémophilie B pour leur permettre d’être actifs plus efficacement et plus longtemps dans l’organisme.

Ma piste de recherche consiste à travailler à la fois sur les cellules qui fabriquent déjà industriellement le FIX − les cellules ovariennes de hamster −, mais aussi sur des cellules hépatiques humaines et sur leur phosphorylation.

Pour améliorer la capacité de modification chimique ou phosphorylation, nous apporterons aux cellules une protéine kinase appelée Fam20C, qui a la particularité d’assurer une phosphorylation sur l’acide aminé de type sérine. En introduisant cette protéine kinase dans les cellules humaines et de hamster, j’espère obtenir un facteur IX recombinant avec une phosphorylation se rapprochant du facteur IX plasmatique.

Ensuite, il s’agira de tester le facteur IX recombinant obtenu in vitro, puis sur des souris hémophiles B. C’est un projet qui va s’étaler sur trois ans.

A terme, il devrait améliorer l’efficacité du facteur IX recombinant entraînant une diminution des doses à injecter, et donc mécaniquement également une diminution des coûts des traitements.

L’enjeu est de permettre aux personnes hémophiles d’espacer leurs injections, et ainsi d’améliorer la qualité de vie des patients sous prophylaxie.

Pour l’hémophilie B, on parle beaucoup de guérison avec les essais cliniques prometteurs de thérapie génique. Qu’en pensez-vous ?

S. L. Q. : La thérapie génique, c’est la guérison de l’hémophilie pour demain ! Mais ces recherches s’inscrivent sur le long terme. En attendant de pouvoir guérir, il faut soigner les patients et contribuer à l’amélioration des facteurs antihémophiliques existants mais aussi de ceux à venir, je veux parler notamment des facteurs recombinants à durée de vie allongée.

Vous êtes lauréate du prix Espoir 2013 de la Fondation Groupama pour la santé pour votre projet de recherche sur l’hémophilie B. Que représente ce prix pour vous ?

S. L. Q. : C’est un très beau cadeau ! Concrètement, cette bourse de la Fondation Groupama me permet de bénéficier d’un financement à hauteur de 30 000 € par an pendant trois ans pour mener à bien ce projet de recherche.

Bien sûr, je me sens flattée et très honorée d’avoir été sélectionnée par la Fondation Groupama qui soutient des projets de recherche en direction des maladies rares. Même si je me suis battue pour avoir ce financement, avec l’aide de toute l’équipe de recherche, c’est un formidable signe de reconnaissance du travail fourni, et de la pertinence du projet.

Vous nous avez expliqué que vous étiez à la fois médecin et chercheuse.
Comment menez-vous de front les deux activités ? Que trouvez vous facile/difficile dans le métier de chercheur ?

S. L. Q. : Je consacre environ 50 % de mon temps à la recherche, et 50 % de mon temps aux patients et à l’analyse des prélèvements. Mes premières impressions sur le métier de chercheur c’est qu’il s’agit d’un métier très prenant, très chronophage. Les résultats sont parfois lents à venir, certaines manipulations peuvent durer plusieurs jours ou même plusieurs semaines.

Parfois, les résultats attendus ne sont pas là, pouvant conduire à un sentiment d’échec. Il faut faire preuve d’énormément de persévérance et garder sa motivation. Cela reste un métier passionnant, surtout quand on l’associe à une pratique médicale.

Quel pourrait être, selon vous, l’engagement de l’AFH pour la recherche ?

S. L Q. : Je pense que l’AFH pourrait avantageusement se consacrer à la collecte de fonds et soutenir la recherche financièrement, mais pas seulement. En effet, votre association peut avoir un rôle de vulgarisation des travaux de recherche afin d’apporter une information éclairée aux patients. Cela pourrait susciter un intérêt de part et d’autre, des discussions patients-chercheurs. Et pour le chercheur c’est comme une reconnaissance, une invitation à poursuivre la recherche encore et toujours.