Compte-rendu de rencontre Patients/ Chercheurs autour des anticorps thérapeutiques

Traitements actuels de l'hémophilie et autres maladies hémorragiques rares
Jeudi 18 octobre 2018, à Tours, 40 personnes ont participé à une journée d’information sur les anticorps thérapeutiques, qui comprenait la visite d’un laboratoire, le Biocube, lieu dédié à la bioproduction de ces fameux anticorps.

La visite d’un laboratoire de production de biomédicaments, les explications théoriques et techniques sur les anticorps ainsi que les différentes interventions ont permis aux participants de mieux comprendre ces nouvelles techniques prometteuses qui révolutionneront sans doute, dans les années à venir, la manière d’appréhender et de vivre avec l’hémophilie. Virginie, participante, recommande cette journée « dans un lieu très intéressant avec des intervenants de grande qualité, se mettant à notre niveau pour expliquer leur travail ». Elle en sort avec « l’espoir que les nouvelles thérapies procurent aux hémophiles une vie meilleure dans un avenir qui n’a jamais été aussi proche »  !

Présentation du principe et des applications des bio-médicaments.

Après l’accueil des participants, la journée a débuté par une présentation du principe des biomédicaments et de leurs champs d’application : à la fois théorique et interactive, avec définitions, exemples et vidéos à l’appui.

Une première vidéo a mis en évidence la méconnaissance du terme « biomédicament » par le grand public. Un biomédicament est un médicament dont la substance active est produite à partir d’une source biologique ou en est extraite. Pour être qualifiée de biomédicament, la molécule doit également être de grosse taille et complexe, à l’échelle de la protéine.

L’anticorps quant à lui est une protéine produite par le système immunologique. Elle est structurée en 2 chaînes lourdes identiques s’associant à 2 chaînes légères également identiques. L’anticorps se compose dès lors de 2 branches dites « Fab » dont l’utilité est la reconnaissance et l’identification du pathogène. Le fragment dit « Fc » est quant à lui dédié au processus de sa destruction.

Enfin, les différentes étapes pour aboutir du gène au biomédicament, avec notamment l’objectif d’obtenir une cellule « usine » ont été décrites. Celles-ci illustrent la visite qui allait suivre, celle du Biocube, usine de bioproduction.

Visite du Biocube

Le Biocube est un laboratoire de 2200m², véritable usine de bioproduction et outil pour la recherche, la formation et l’innovation. Il n’est toutefois pas équipé et sécurisé pour procéder à la fabrication finalisée de biomédicaments délivrés aux humains.

Pour des raisons strictes d’hygiène et en présence notamment d’organismes génétiquement modifiés, l’accès se fait par des sas avec protocoles précis, en combinaisons, charlottes, masques et sur-chaussures.

La visite a permis aux participants de comprendre les différentes techniques, d’observer les outils et machines des process Upstream (multiplier les cellules et produire les protéines) et Downstream (isoler le biomédicament). Les visiteurs ont été particulièrement impressionnés par la précision et la sophistication de certains outils tels que les bioréacteurs.

Application des anticorps thérapeutiques dans le cadre de l’hémophilie

La deuxième partie de la journée a été consacrée à l’application des anticorps thérapeutiques pour le traitement des maladies hémorragiques et notamment de l’hémophilie. Les interventions du Pr Yves Gruel et du Dr Olivier Christophe ont permis aux participants de visualiser et comprendre le champ d’action des anticorps dans leur propre expérience de vie, celle d’un hémophile ou d’un proche d’hémophile.

« Il y a peu de maladies où les médecins incluent autant les patients dans l’échange, les informent sur les progrès et les échecs de la recherche, en transparence, et sans tabou. Je trouve très important de se forger un avis éclairé sur l’hémophilie et ses traitements, pour pouvoir dialoguer avec les soignants, et être acteur de ses décisions ». – Virginie, participante

Intervention du Professeur Yves Gruel*

Pour permettre aux participant de bien comprendre l’application des anticorps dans l’hémophilie, le Pr Gruel est d’abord revenu sur le principe de l’hémostase et les différentes étapes de la cascade de coagulation.

L’émicizumab, commercialisé donc sous le nom d’Hemlibra, est un anticorps bispécifique qui imite le Facteur VIII de la coagulation et donc destiné à réunir les facteur IXa et X. Celui-ci est administrable par voie sous cutanée avec une demi‐vie de trois semaines.

Le Professeur Gruel a ensuite présenté les avantages et inconvénients du produit Hemlibra par rapport au Facteur VIII.

Hemlibra   FVIII
Interaction unique de faible affinité Multiples interactions de haute affinité
Régulation limitée
Mécanisme toujours sur « ON »
Régulation par l’organisme
Mécanisme « ON/OFF »

L’utilisation d’Hemlibra en prophylaxie permet de transformer le patient hémophile A sévère en l’équivalent d’un hémophile A mineur à +/- 10 %.

Les études ont pour le moment présentées des données positives avec des réductions significatives des saignements. Le produit a été bien toléré avec peu d’effets secondaires excepté des réactions sur le point d’injection. Cependant, des effets secondaires graves ont été remarqués en associant l’anticorps au produit FEIBA.

Si le rapport bénéfices/risques est positif pour un patient hémophile A avec inhibiteurs, plusieurs interrogations sont en suspend et devront être résolues à l’avenir :  Le rapport bénéfices/risques sera-t-il également positif pour un patient hémophile A sans inhibiteur ? Le produit sera-t-il efficace sur certains saignements ? Quel sera le coût du traitement ? Pourra-t-il être utilisé en chirurgie ?

Intervention du Docteur Olivier Christophe**

Le Dr Olivier Christophe a présenté une étude en cours de réalisation dans son laboratoire, financé en partie par l’AFH basée sur l’utilisation de Nanobodies, petit anticorps à domaine unique, très soluble et stable. Leur réacheminement est donc facilité et leur conservation particulièrement bonne. Ces anticorps pouvant être produits à partir d’une simple bactérie, leur coût de production est relativement faible.

A ce jour, un Nanobody développé par Sanofi traitant une maladie de sang est sur le point d’obtenir une autorisation de mise sur le marché en Europe.

Plusieurs paramètres encourageants font des Nanobodies une alternative prometteuse à celle déjà existantes sur le marché de l’hémophilie :

  • L’ingénierie des Nanobodies permet d’améliorer leur potentiel anti-hémophilique in vitro.
  • Les Nanobodies dirigés contre l’antithrombine, inhibiteur naturel de la coagulation, sont capables de réduire significativement les saignements dans des souris déficientes en FVIII et en FIX avec ou sans inhibiteurs.
  • Aucun signe de thrombose n’a été observé chez les souris hémophiles traitées avec des doses de 10mg/kg corrigeant l’hémophilie.
  • Des résultats préliminaires encourageants ont été obtenus lors de l’administration en sous-cutanée des Nanobodies chez des souris hémophiles A.
  • Des études d’efficacité et de sécurité d’un Nanobody candidat médicament chez le chien sont programmées à moyen terme.
  • Les Nanobodies représentent une alternative peu onéreuse pour les patients hémophiles A et B avec inhibiteurs et qui ne bénéficient pas de traitement satisfaisant.
  • A la différence du Fitusiran (Groupe Sanofi) qui bloque aussi l’action de l’antithrombine, les Nanobodies pourraient être utilisés en cas de situation aiguë ou pour un traitement à la demande.

Pour conclure

Un dernier échange intéressant entre intervenants et participants a confirmé l’efficacité attendue par ces techniques de contournement de la cascade de coagulation. En effet, plusieurs participants présents utilisent ces médicaments à ce jour et ont apporté leur témoignage positif et encourageant.

Pour Virginie toujours, le bilan de la journée est très positif : « Les scientifiques qui interviennent sont particulièrement vigilants à bien simplifier le jargon médical. Le nombre restreint de participants permet aussi de poser des questions et d’écouter les témoignages d’autres malades ou accompagnants. En synthèse, cette journée m’a permis de réaliser que la recherche avance vraiment à pas de géants actuellement – certaines personnes présentes sont déjà dans des protocoles de soins de cette nouvelle génération de traitements, et leur témoignage a été formidablement encourageant ! 

En tant que mère d’un jeune hémophile, je suis très intéressée par les avancées médicales qui permettront de réduire un grand nombre de contraintes des protocoles actuels de soins, et de se rapprocher ainsi d’une vie la plus « normale » et la plus simple possible. Je ne travaille pas dans le domaine médical, et les journées de ce type m’aident à mieux comprendre la maladie et les différentes voies thérapeutiques qui sont en cours d’étude. Nous avions eu l’occasion d’aborder la thérapie génique avec mon comité régional, lors de notre assemblé générale. Les anticorps thérapeutiques sont une autre voie de soin que je ne connaissais pas. »

Journée réalisée avec le soutien institutionnelle de Roche.

* Professeur Yves Gruel, Service d’Hématologie-Hémostase, Centre Régional de Traitement de l’Hémophilie de Tours

** Docteur Olivier Christophe, Inserm U1176 de l’Hôpital du Kremlin-Bicêtre