Emicizumab : une avancée importante pour les hémophiles A avec inhibiteur

L’arrivée d’un médicament présentant une réelle avancée pour une communauté est rare. Emicizumab (nom commercial Hemlibra®), commercialisé par le laboratoire Roche en partenariat avec Chugai, pourrait en faire partie. Sa vocation est d’apporter une réponse efficace pour le traitement des personnes atteintes d’hémophilie A avec un inhibiteur.

L’hémophilie A avec inhibiteur : qu’est-ce que c’est et quels sont les traitements actuellement proposés ?

Une des premières préoccupations pour le traitement de l’hémophilie A est l’apparition d’inhibiteur, anticorps anti-facteur VIII. C’est une complication majeure, liée au traitement substitutif par le facteur VIII. Deux types de stratégies thérapeutiques sont possibles et complémentaires : l’éradication de l’inhibiteur par l’Induction d’une tolérance immune (ITI) ; et le traitement des accidents hémorragiques par les agents by-passants.

1) L’ITI

De fortes doses de facteur VIII sont injectées de façons rapprochées et souvent quotidiennes pour tenter d’éradiquer l’inhibiteur. En cas de réussite, du FVIII standard peut à nouveau être administré. Il s’agit de rétablir son efficacité. En matière de vie au quotidien, le suivi d’une ITI est extrêmement lourd.

2) Les agents « by passants » (concentrés de facteur de coagulation VII activé [rFVIIa, NOVOSEVEN®] ou Complexe prothrombique activé [aPCC, FEIBA®]).

Ils sont utilisés pour prévenir ou traiter les saignements. Ils sont administrés par voie intraveineuse. Ces agents peuvent être utilisés pour le traitement ponctuel d’un saignement ; et comme traitement prophylactique pour la prévention des saignements.

Le choix de la thérapeutique est adapté à chaque patient selon son contexte, clinique et biologique, par un médecin spécialisé d’un Centre de ressources et de compétences (CRC, ex-CRTH) en concertation avec la personne concernée.

Vivre avec une hémophilie A avec inhibiteur est extrêmement compliqué en comparaison avec les personnes atteintes d’hémophilie sans inhibiteur. Les études montrent que ceux qui ont un inhibiteur résistant sont 4 fois plus hospitalisés, ont beaucoup plus besoin d’une aide pour la marche, ou encore éprouvent des douleurs récurrentes plus fréquentes. Sur le plan professionnel, le nombre de jours d’absence est plus important. La différence est également significative pour les parents tant sur le plan financier, que sur la vie familiale.

L’arrivée d’un médicament pour l’hémophilie A avec inhibiteur était attendue et… surveillée

L’arrivée sur le marché d’un médicament apportant une amélioration significative au quotidien des personnes vivant avec une hémophilie A avec inhibiteur était donc fortement attendue.

Emicizumab (nom commercial Hemlibra®) est un anticorps bispécifique qui mime certaines fonctions exercées par le facteur VIII, en se liant au facteur IX activé et au facteur X. Le facteur VIII et l’anticorps bispécifique sont des protéines très différentes. Ainsi, Emicizumab agit à la place du facteur VIII mais n’est pas reconnu comme tel, ainsi le corps ne produit pas d’inhibiteur contre le facteur VIII. Le mode d’action spécifique de ce médicament ne permet de le proposer qu’en prophylaxie. Avec l’administration d’une dose, une fois par semaine en sous-cutanée, le médicament permet d’atteindre une protection suffisante pour empêcher la plupart des saignements, notamment les spontanés. Ainsi, les études montrent une baisse de 87% des saignements sous Emicizumab. Cependant, il ne peut empêcher tous les saignements. Il a une action protectrice qui ne dépasse pas un certain seuil,_ un plateau maximal insuffisant pour traiter un accident hémorragique qui s’est déclaré. En outre, il n’a pas d’effet immédiat : la toute première fois, il faut plusieurs injections (au moins 5 pour arriver à la couverture maximale), et une ou plusieurs injections supplémentaires ne pourront stopper un saignement. Dans ce cas, les agents by-passants doivent être utilisés car l’inhibiteur au facteur VIII existe toujours. Les progrès apportés sont donc très importants, et ils concernent autant le mode d’administration que l’impact au quotidien de la maladie. Cependant, ce médicament n’est pas un médicament anodin, il comporte des risques d’utilisation. La communauté médicale et l’AFH en sont conscients.

Le risque principal est l’interaction médicamenteuse entre Emicizumab et les agents by-passants. En effet, en cas de saignement, le patient ne doit plus avoir le réflexe de faire une injection immédiatement, il doit D’ABORD appeler le médecin spécialiste de l’hémophilie qui le suit. Ils devront, AVANT toute injection, déterminer ensemble si l’injection est nécessaire. Ils devront analyser les symptômes, depuis combien de temps ils s’expriment, leurs localisations sur le corps. Si la perfusion d’un agent by-passant est nécessaire, il faudra déterminer quel agent by-passant utiliser et à quelle dose.

Les précautions mises en place pour le traitement des saignements sont dues au fait que les interactions entre les agents by-passants et l’Emicizumab sont encore mal connues. Les essais thérapeutiques ont montré qu’il y avait un risque de thrombose (hyper-coagulation), ce qui peut avoir des conséquences très graves. Les symptômes de ce risque ne sont pas connus des personnes atteintes d’hémophilie. L’Agence nationale du médicament (ANSM) a d’ailleurs demandé au Laboratoire Roche de donner une information très détaillée sur ce risque aux patients.

Le second risque est celui de la gestion des urgences. Le risque, en cas de traumatisme ou de gestion en urgence d’un saignement, est l’absence de réflexe d’un service d’Urgences à répondre rapidement et efficacement à la situation d’un patient sous Emicizumab. Il devra en priorité se mettre en contact avec le CRC. En l’absence de contact, la vie du patient pourrait être mise en danger, en prescrivant des médicaments de manière inadaptée. La capacité des patients à se faire entendre et comprendre sera donc primordiale.

Voilà pourquoi l’AFH et les professionnels de santé considèrent qu’une action d’éducation thérapeutique (ETP) est indispensable.

Accompagner les personnes concernées pour renforcer le partenariat patient soignant

Emicizumab est un nouveau médicament qui transforme radicalement la manière de vivre avec une hémophilie A avec inhibiteur. Les progrès importants qu’il apporte doivent être expliqués en lien avec les risques liés à son utilisation dans la vraie vie et non plus dans le cadre d’essai thérapeutique. Conscients de ce changement important, la communauté des soignants et l’AFH ont uni leurs efforts pour prévoir l’accompagnement des personnes concernées.

Depuis mars 2018, un groupe interdisciplinaire se réunit. Il rassemble des médecins, des infirmières et des patients concernés par une hémophilie A avec inhibiteur avec le soutien méthodologique du Dr Sophie Ayçaguer, chargée de mission Éducation thérapeutique à l’AFH.

Le groupe de travail a identifié 6 points essentiels à retenir comme thématiques d’un programme d’éducation thérapeutique. Ces 6 points clés regroupent les domaines essentiels où le traitement par Emicizumab entraîne un changement pour les personnes concernées :

  1. Ce nouveau traitement, c’est seulement pour la prophylaxie
  2. L’expression de la maladie évolue profondément
  3. Les modalités d’injection changent
  4. En cas de saignement, les modalités de traitement demandent une nouvelle manière d’agir
  5. L’auto-surveillance des manifestations habituelles et inhabituelles est essentielle
  6. Le passage aux urgences est crucial

Des sessions d’ETP seront proposées pour chacune de ces thématiques, coanimées par des parents ou patients ressources et des professionnels de santé. L’AFH, en collaboration avec les soignants, proposera un week-end d’ETP national. Il s’agit de s’assurer pour l’avenir que les patients sous ce traitement puissent s’engager dans un réel partenariat de soins avec les CRC (ex-CRTH) qui les suivent. Dans ce domaine, la force de l’apprentissage collectif se révèle particulièrement importante.

En outre, chacun des CRC pourra en complémentarité proposer une session individuelle en s’appuyant sur les besoins éducatifs que le patient aura pu exprimer.

Dr Annie Borel-Derlon
Directrice CRC-MHC Caen
Présidente du Conseil scientifique
Gaetan Duport
Membre du Groupe de travail Plaidoyer santé publique
Thomas Sannié
Membre du Groupe de travail Plaidoyer santé publique