La vie au quotidien d’un kinésithérapeute spécialisé dans l’hémophilie

Michel Raymond nous dévoile l’existence qu’il partage entre son activité professionnelle de kinésithérapeute généraliste, mais aussi de kinésithérapeute spécialisé dans l’hémophilie, et son engagement bénévole en tant que coresponsable de la commission « Kinésithérapie » de l’AFH.

Paris, 13 février 2010 ; il fait un froid glacial. J’arrive gare de Lyon pour participer au « Petit-déjeuner santé » organisé par le comité Ile-de-France de l’AFH, sur le thème « Forme et exercices physiques ». Nombre de rues parisiennes sont pavoisées de lanternes multicolores. Nous sommes à la veille du nouvel an chinois ; le 14 février ouvre l’année du tigre. Tigre qui incarne la force, le courage et la solidarité, vertus qui pourraient concerner le kinésithérapeute s’occupant des hémophiles et les hémophiles eux-mêmes.

Ce même jour, Christian Fondanesche, kinésithérapeute spécialisé dans l’hémophilie à Montpellier et coresponsable de la commission « Kinésithérapie » de l’AFH, peaufine le premier numéro d’un journal d’information destiné aux salles d’attente de notre association GRIKH [1] et que nous préparons au cours de nos multiples réunions informelles, téléphoniques, numériques et autres, entravées par nos emplois du temps saturés par nos activités libérales. Il faut dire que nous ne sommes que deux au sein de l’AFH, de façon constante, à théoriser, proposer et appliquer les principes d’une approche kinésithérapique de l’hémophilie acceptable par tous ce qui nous demande évidemment des moments d’écoute, de réflexion et de rédaction, débordant largement le champ du temps nécessaire à la prise en charge de nos autres patients non hémophiles.

Bien sûr, nous ne sommes pas pionniers en la matière. Depuis 1982, date de la création de la commission « Kinésithérapie » de l’AFH, de nombreux kinésithérapeutes sont intervenus, pour la plupart des kinésithérapeutes hospitaliers. Mais peu à peu, avec l’avènement pour les hémophiles du traitement à domicile, de l’autotraitement, avec la réintégration progressive dans le monde de la scolarité, du travail, des loisirs, le recours aux kinésithérapeutes de ville s’est généralisé. Qu’ils travaillent en ville ou dans les hôpitaux, nos consoeurs et confrères de toutes les régions travaillent ensemble pour le bien-être des patients hémophiles. Il nous a fallu alors resserrer notre entente, notre complicité, notre amitié même, nos échanges avec l ’ensemble des praticiens concernés par l’hémophilie, avec chacun des hémophiles qui nous sont confiés, avec l’AFH.

Ainsi , au fil des semaines, des mois, des années, au cours des réunions administratives, des journées de formation de l’AFH pour les kinésithérapeutes de toute la France, des Journées mondiales de l’hémophilie, des réunions des comités régionaux, des congrès nationaux et internationaux, nous essayons de répondre au mieux à la demande d’information, de proposition, de justification, d’encouragement formulée par chacun : les autorités, les hémophiles et nos confrères. Nous sommes également impliqués dans l’aide aux patients issus de pays ayant des difficultés thérapeutiques dans le domaine de l ’hémophilie : Christian Fondanesche était dernièrement encore en mission de formation au Sénégal, et moi en Algérie, à Alger et Oran. Malheureusement, nous n’avons probablement pas toujours le temps et le savoir nécessaires à la prise en charge de tous les patients qui en auraient besoin. Mais on se rassure en relisant ce proverbe de Confucius (d’actualité en ce nouvel an chinois) : « Ce qu’on sait, savoir qu’on le sait ; ce qu’on ne sait pas, savoir qu’on ne le sait pas : c’est savoir véritablement. »

Ce vendredi, avant de partir pour Paris, j’ai vu à mon cabinet, comme chaque semaine, Bruno, hémophile sévère, infirmier dans un service de réanimation à Lyon, père de trois enfants. Lors de cette séance d’exercices, nous avons parlé de vie professionnelle, de la neige qui rend la marche plus difficile, des vacances…

Eric, 30 ans, très atteint sur le plan orthopédique, psychologiquement aussi : difficultés relationnelles au travail du fait de ses arrêts répétés et prolongés… Henri, sexagénaire, retraité, aigri : il attend des indemnités… Christian Fondanesche, pour sa part, travaille avec un patient hémophile et effectue son suivi et sa progression tard le soir dans une salle de gym, les séances étant impossibles à placer dans la journée. Chacun – et bien d’autres – avec sa problématique à laquelle nous devons nous adapter pour pouvoir être utiles. Je dis souvent aux patients, mais cela est valable pour tout le monde et en toutes circonstances aussi, ce principe de Lao Tseu (encore l’actualité !) : « C’est ce qui manque qui donne la raison d’être. »

[1] Groupement de réflexion et d’information sur la kinésithérapie des maladies hémorragiques