Laurence Arnaud, mère d’un enfant hémophile

« La culpabilité,

C’est un mal étrange dont j’ai été et suis encore atteinte. La grande question pour moi a été coupable, peut être, mais de quoi ?

Mes cellules défaillantes ne me rendent pas responsable. Je suis sur ce plan aussi victime que mon fils. Pour autant, chaque bleu est une souffrance, chaque piqure un coup de poignard. Je ne veux pas que mon fils ait tout cela à vivre… mais comment faire autrement ?

La culpabilité, je l’ai ressentie à travers le regard des autres. Une sensation étrange d’être sans cesse obligée de me défendre d’une quelconque accusation de maltraitance lorsque mon fils présente un bleu sur le tibia, le bras… L’annonce de sa maladie s’est accompagnée d’une accusation de maltraitance. J’étais aux yeux de mes accusateurs, coupable si ce n’est de l’avoir ouvertement frappé, au moins de ne pas lui avoir prodigué l’attention et les soins nécessaires. Ma culpabilité est sans doute née là. Bien sûr que je me suis sentie mal à l’annonce de sa maladie. Bien sûr que ses bleus récurrents sur le corps me questionnaient, suffisamment ? Jeune maman, je n’avais évidemment pas forcément envie de voir que ces marques sur son corps, bien qu’anormales, pouvaient être graves. Alors oui, coupable de n’avoir pas pu envisager que mon fils avait une maladie pour moi inconnue jusque là. Coupable d’avoir voulu vivre une vie de maman « normale » avec un petit garçon (le plus beau de tous bien sûr) en pleine santé.

Depuis, de nombreuses rencontres ont maillé mon parcours de maman d’enfant hémophile. Ces rencontres parfois violentes mais toujours riches m’ont amenées à réfléchir et à ne plus envisager ma parentalité comme un traumatisme mais comme un désir. Alors oui, coupable de désir ! Coupable d’avoir voulu fonder une famille, coupable d’avoir aimé mon enfant dés le premier regard, coupable de l’accompagner à la piqûre aujourd’hui comme demain. Les passages au service d’hématologie pédiatrique (4ème) m’ont amenée à relativiser beaucoup ma vie de maman d’hémophile. Mon fils « n’est qu’hémophile ». Bien sûr que c’est une maladie rare et grave mais pour autant sa vie est normale ! Il court, il joue, il rit, il partage des moments de jeux avec d’autres enfants… Je pense que ces constats m’ont amenée à penser ma culpabilité à la baisse. Coupable alors de lui avoir offert une vie d’enfant ? Une vie d’enfant un peu particulière puisque nécessitant des intraveineuses pour ne pas avoir de séquelles de ses jeux d’enfant. J’ai parfois eu dans ce service le sentiment coupable d’en repartir avec mon fils dans les bras alors que les enfants et leurs parents que nous avions côtoyés ce jour là restaient. Là encore résonne en moi cette phrase d’une famille d’un enfant leucémique « ah ! il a une hémophilie, il n’a rien alors ! ». Sur l’instant ça m’a fait mal : non reconnaissance de mes difficultés. Je me suis sentie coupable que mon fils n’ait « rien » et que je le vive si mal. Il m’a fallu du temps pour « digérer » ses mots et pour admettre que la violence de ces propos ne m’était pas directement adressée. Cette femme souffrait devant l’inconnue du devenir de son enfant. Une phrase m’a aidée : « On est tous coupables, ne prends rien de plus que ta part de culpabilité. » (C. de Lamirande). Je n’avais pas à me sentir responsable de l’état de son enfant. Je n’avais pas à me sentir coupable que mes visites dans ce service soient plus sporadiques que les siennes.

Je donne souvent en exemple à des proches questionnant l’hémophilie et son traitement, l’image du diabétique (piqures à vie et régulières). Puis l’on passe à une comparaison cynique et sordide des avantages et des inconvénients de chacune de ces maladies. D’un côté une intraveineuse, des risques d’hémorragies et d’hémarthroses accrues en cas d’accident ou de traumatismes ; de l’autre côté, une sous-cutanée, des risques de comas diabétiques, des risques de surdosage d’insuline, une éducation alimentaire dés le plus jeune âge. Chacune de ces maladies est à traiter, bien sûr, dans sa singularité mais en relativisant beaucoup je trouve un certain nombre d’avantages à son hémophilie à défaut d’un diabète (Vive le cynisme !).

Après donc bientôt 3 ans de vie commune avec l’hémophilie, la vie continue. Un projet de 2ème enfant voit le jour et là encore la question de la culpabilité se pose. Nous avons décidé de ne pas interrompre la grossesse en cas de garçon. Et ma culpabilité dans tout ça ? Me sentirais-je toujours bien avec elle si jamais mon 2ème enfant était un garçon hémophile ? Et si jamais c’était une fille porteuse comme moi de ce gène qu’elle transmettrait à mes petits enfants ?

Pour moi la culpabilité n’est pas une affaire réglée, j’apprends à vivre avec elle au même titre que l’hémophilie. Pour autant si je n’offrais pas de petit frère ou soeur à mon fils j’aurais la sensation d’avoir été bouffée par elle et par la maladie. Je pense verser encore un certain nombre de larmes à l’avenir mais l’absence de 2ème enfant ne m’en empêcherait pas. J’aurais sans doute du regret en plus de la culpabilité et quitte à avoir un ennemi autant qu’il soit toujours le même ! Je sais aujourd’hui que je peux lutter contre ma culpabilité serais-je capable de vivre avec des regrets de n’avoir pas mené à bien ma vie de femme et de mère, je n’en suis pas sûre. La culpabilité a souvent chez moi engendré la peur de l’avenir, du mien comme de celui de mon fils. Mais avoir peur n’aide pas à avancer dans le présent et c’est aujourd’hui que mon fils et mon compagnon ont besoin de moi. Nous nous construisons, ensemble, aujourd’hui.

Alors oui, aujourd’hui, je peux m’annoncer coupable d’être heureuse de le voir grandir, me parler, soulever sa manche quand vient l’heure de la piqure. Coupable d’avoir envie d’agrandir notre famille. Mais non coupable d’avoir transmis le gène de l’hémophilie à mon fils. De grands points d’interrogation restent en suspens pour l’avenir…. Cet écrit n’a de sens qu’aujourd’hui et ne peut que s’achever par des points de suspension… »